Les tribulations d’un (ex) astronome

Le plaisir d’enseigner

samedi 25 octobre 2014 par Guillaume Blanc

Cela fait deux mois que je bosse quasiment tous les week-ends, pour préparer cours et feuilles d’exercices d’application, les travaux dirigés (TD). Il fait pourtant un temps superbe, dehors, l’automne se pare petit à petit de ces mille couleurs qui incitent plus à flâner le nez dans les tons ocres de ses feuilles mortes qui se découpent si bien sur l’azur, qu’à rester enfermé accoudé sur un bureau. Et pourtant, et pourtant... Quand il faut, il faut.

Changement général des maquettes des cours de physique en licence et master à l’université Paris Diderot (réforme des programmes au lycée il y a deux ans oblige), j’ai trois nouveaux enseignements où quasiment tout est à faire, à créer. Électromagnétisme en régime statique en deuxième année, travaux dirigés et travaux pratiques (TP) — la première fois que j’enseigne les travaux pratiques depuis que je suis prof ; méthodologie de la physique, 3e opus, en deuxième année : en gros, des maths appliqués ; et enfin, un petit cours disons optionnel, ouvert aux étudiants des autres composantes, que j’ai intitulé « physique et société », où je raconte des choses sur le « nucléaire » — enfin, surtout sur la radioactivité —, sur le réchauffement climatique, sur comment se fait la science...

J’ai un groupe fort sympathique en électromagnétisme et en méthodologie, et mon cours « optionnel » a eu un peu de succès, avec quasiment la parité femme-homme — 45 % —, exceptionnel en physique, ce dont je suis somme toute, assez fier !

Je me replonge avec délectation dans les méandres des champs électrostatiques et magnétostatiques, je n’avais pas fait ça depuis mes lointaines années étudiantes. Pour la peine, les week-ends ont beau être ensoleillés, les copains ont beau en profiter pour arpenter les parois alpines, je suis plutôt content de rester enfermé, plongé dans mes bouquins et de peaufiner mes énoncés de travaux dirigés, et autres cours. J’ai à peine le temps de rêvasser sur les montagnes que viennent saupoudrer doucement les premières neiges. Je me suis plongé dans les tenants et aboutissants du réchauffement climatiques, je trouve la chose passionnante, et d’une actualité brûlante, si je puis dire !

Pourtant, la rentrée fut des plus chaotiques, avec un manque de personnel administratif au département chargé de faire les emplois du temps et les réservations de salles subséquentes. Autonomie mal foutue des universités oblige, mépris d’un directoire qui n’est pourtant que celui de l’université Paris Diderot, et non celui de la méga-fac « Sorbonne-Paris-Cité » : celui-là de directoire, il gravitera tellement loin de nos préoccupations terre-à-terre qu’on pourra toujours faire nos emplois du temps nous mêmes. Mon groupe de TD culmine à trente étudiants, ce qui est particulièrement difficile à gérer quand on est censé être en « petit groupe, » mais ils sont cools et travailleurs, mes étudiants, cette année, alors on y arrive, peu ou prou.

Je découvre l’enseignement des travaux pratiques, je fais mes « petites manips’ » à moi, je m’amuse à faire ces expériences. Mais surtout, je prends un immense plaisir à voir ces étudiants que l’on dit souvent (et moi le premier !) peu travailleurs et peu motivés, plancher pendant plus de trois heures — il faut toujours que je les « vire » de la salle de TP [1] — sur une manip’ ! Mesure de la force électrostatique entre deux sphères chargées, mesure de capacité d’une sphère... Quand on est astrophysicien, observateur, on n’a pas vraiment l’occasion de tester la physique sur une paillasse. Alors pour la peine j’en profite avec les étudiants. Et je me demande pourquoi je n’ai pas enseigné de physique expérimentale avant. Le temps passe.

J’aimais déjà beaucoup enseigner, notamment ces derniers temps en première années de master, le transport de la matière et de la chaleur, sous forme de TD, qui m’a chaque année procuré beaucoup de plaisir, avec des groupes d’étudiants en général fort sympathiques et travailleurs, même si quelques couacs ont ponctuellement ternis l’ensemble. Mais cette année, je me régale. Peut-être est-ce l’électromagnétisme, c’est tellement beau comme physique ? Peut-être est-ce le fait de faire de la brasse coulée depuis la rentrée sans avoir le temps de penser à autre chose ? Peut-être est-ce un état d’esprit général, due à quelques changements dans ma vie professionnelle qui font que « la vie est belle et c’est tant mieux. »

Effectivement, délaissant le laboratoire qui m’avait recruté en 2005, j’ai enfin osé lui tourner le dos pour aller faire un tour dans la cambrousse, sur le campus d’Orsay. Je (re)découvre ainsi le travail en équipe, la vie sociale au labo. Et puis j’oublie les allers-retours éreintant en RER B pour aller bosser en vélo. Ça aide substantiellement à maintenir l’esprit aéré !

L’avantage de devoir repenser en profondeur un enseignement (comme l’électromagnétisme) en récrivant les textes des exercices de TD est que l’on évite d’hériter ainsi de textes séculaires parfois particulièrement abscons. Le résultat est qu’il est beaucoup plus motivant pour les étudiants de travailler sur des exercices qu’ils parviennent à faire. Le fait est qu’ils travaillent chez eux, cherchent les exercices, et passent au tableau à tour de rôle. Et ça marche. Enfin, jusque-là. Il reste tout de même une moitié de semestre, souvent la plus difficile, source de nombreux décrochages. On verra fin décembre si je suis toujours aussi content !

Le plaisir enfin d’avoir vu ma proposition d’« option » sur la physique et la société acceptée par mes collègues, le plaisir de monter ce cours, certes modeste — 1h30 par semaine — tout seul. Cours et TD, cours et exercices d’applications. Contrôles des connaissances, etc. Seul maître à bord. Assez jouissif, j’avoue. La difficulté était de calibrer mon cours en fonction du temps qui m’était alloué. J’ai en parti échoué sur ce point, puisque j’avais prévu beaucoup trop de matériel pour les deux premières parties, la troisième va tomber aux oubliettes, par la force des choses. Radioactivité et réchauffement climatique, pas d’ondes électromagnétiques. Mais j’ai demandé aux étudiants de travailler sur des projets bibliographiques qui couvrent un champ assez vaste des débats sociétaux liés à la physique, ce qui devrait engendrer des discussions intéressantes.

Comme souvent, l’enseignement que je concentre sur le premier semestre —septembre à décembre —, est prenant, me permettant peu ou pas de poursuivre mon travail de recherche simultanément. J’arrive en fin d’année content d’en avoir terminé, d’avoir éclusé ces quelques 192 heures de cours, souvent rincé (le début de la saison de ski est difficile, la forme physique s’est évaporée dans le manque de sommeil et le boulot). Mais aussi très souvent nostalgique de ne plus voir « mes » étudiants chaque semaine. La recherche est parfois ingrate, mortifiant l’ego, l’enseignement est souvent gratifiant, flattant l’ego. La dualité est passionnante même si parfois difficile à concilier.

[1Bon, je suppose que leur motivation première n’est pas (forcément) la belle physique, mais surtout le compte-rendu sommaire à rendre qui sera noté... La carotte, quoi...


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